En 1428, Jeanne d’Arc entend des voix. Le cours de la guerre de Cent Ans en est changé. En 1900, les spectateurs des premiers temps du cinéma n’entendent rien du tout (les films sont muets) mais ils sont témoins d’un autre miracle : dans une des premières représentations de Jeanne d’Arc au cinéma, elle se prosterne devant deux apparitions en lévitation. Georges Méliès vient d’inventer la technique de la surimpression, avant de jeter les bases de tout le vocabulaire des trucages cinématographiques.
En 2019, l’artiste franco-uruguayen Horacio Cassinelli se réapproprie ces deux scènes fondatrices et y ajoute une troisième dimension : les deux saintes se découpent sur un fond vert, suivant le procédé de l’incrustation (chroma key en anglais) utilisé en effets spéciaux pour intégrer dans une même image des objets filmés séparément. Méliès filme une actrice en chair et en os devant un décor peint en trompe-l’oeil. Cassinelli isole les différentes couches de ce montage – la toile de fond peinte redevient peinture, l’incrustation est décomposée en ses deux parties – puis il les réintègre sur une même toile, suivant un mouvement de composition/décomposition/recomposition. Véritable machine à remonter le temps, Chroma circule ainsi entre peinture, histoire et cinéma. Dans un geste résolument contemporain, Horacio Cassinelli réactualise cette Jeanne d’Arc passée au filtre 1900, l’image primitive, les auréoles en carton-pâte et les couleurs peintes au pochoir, en une belle concordance des temps.
Acrylic on canvas